Hommage à Dick Nelson (1930-2025)

14 février 2025

Le 28 janvier 2025, Dick Nelson nous a quittés. C’est une triste nouvelle pour beaucoup d’entre nous – il a apporté une contribution extraordinaire à notre discipline, il a été un enseignant passionnant et il nous a également beaucoup soutenus dans de nombreuses circonstances pendant près de quatre décennies. Il était professeur émérite George Blumenthal « International and Public Affairs, Business, and Law » et directeur du programme « Science, Technology and Global Development » du « Earth Institute » de Columbia University.

Le professeur Richard R. NELSON se présentait comme un « économiste de formation ». Il n’était plus sûr d’être encore économiste… ou mieux, il pensait que pour être économiste, il faut être formé et que, comme les sportifs, cela demande du temps et des efforts, surtout du temps.

Il s’est formé et il a enseigné dans les plus prestigieuses universités américaines, de Yale à Columbia, en passant par l’université Carnegie Mellon, pour ne citer que les plus importantes de sa carrière. Chaque institution a bénéficié de l’une de ses principales qualités : son incroyable capacité à éduquer (et pas seulement à former) les étudiants et les jeunes chercheurs. Dick Nelson avait cette capacité rare de mobiliser l’attention et l’énergie vers les défis intellectuels les plus précis et les plus pertinents, non seulement en tant que mentor, mais aussi et surtout par le biais d’une collaboration profonde et intense.

En plus ses contributions à la discipline par le biais de publications majeures, son impact le plus durable est et sera à long terme son influence sur la trajectoire intellectuelle personnelle de beaucoup de nos collègues. Ayant moi-même été « sous influence » à distance, j’ai du mal à imaginer ce qu’elle pourrait être dans sa proximité immédiate.

Dick Nelson n’était pas seulement un professeur extraordinaire, mais aussi un « conseiller » efficace et remarquable. De sa participation à la RAND Corporation à sa collaboration avec l’OCDE, il faut rappeler qu’il a siégé au Council of Economic Advisors of the Président of the United States, lieu mythique pour les économistes, pendant une période non moins mythique, les années 60.

Il a dirigé un programme influent sur la science, la technologie et le développement mondial à la « Earth Institute » de Columbia University et a été George Blumenthal Professeur Emeritus en « International and Public Affairs, Business, and Law ».

Bien sûr, sa contribution à la discipline est cruciale et, de plus, il s’agit d’une contribution qui, depuis un demi-siècle, n’a pas encore démontré tout son impact.

Les domaines auxquels il a contribué sont nombreux (cela révèle l’étendu de sa curiosité active) et il serait difficile de les énumérer tous. En voici un échantillon non représentatif.

Sa première contribution majeure à l’économie a été publiée dans l’une des principales revues de la discipline ; elle porte sur la question cruciale du « piège de l’équilibre à bas niveau dans les pays en développement » et a été publiée il y a près de 60 ans, en 1956. Fondamentalement, il a abordé, comme l’un de ses premiers domaines de recherche (en tant que jeune chercheur), la question clé suivante : pourquoi certains pays en développement sont-ils piégés dans une situation stable de sous-développement et d’autres non ? C’est le premier symptôme de l’un des « leitmotivs » de ses projets de recherche : pourquoi les comportements individuels ou des entités sociales diffèrent-ils ? et surtout restent-ils différents ? Et très vite, il a trouvé une partie de la réponse dans la simple observation que les êtres humains sont imaginatifs, qu’ils apprennent et créent des connaissances.

Cette première contribution a été très vite suivie d’une autre d’une importance encore plus grande : il est l’un des précurseurs de ce que l’on appelle aujourd’hui « l’économie de l’innovation et/ou de la connaissance ». En 1959, il a publié un article fascinant intitulé « The simple economics of basic scientific research – a theoretical analysis » (L’économie simple de la recherche scientifique fondamentale – une analyse théorique). Cet article est devenu la pierre angulaire de vastes domaines de recherche en économie : de l’économie de l’information à la gestion stratégique.

La question centrale était la suivante : « Quels sont les bénéfices sociaux dérivés de l’activité scientifique ? ». Ses réponses sont toujours éclairantes, soulignant le rôle critique de la « recherche fondamentale » pour le développement à long terme de la connaissance et de la société, insistant sur le fait que « toute la recherche scientifique n’est en aucun cas orientée vers la résolution de problèmes pratiques ». Il a également développé l’idée que « la définition souple des objectifs à l’extrémité fondamentale du spectre est une adaptation très rationnelle aux grandes incertitudes en jeu et permet d’escompter un gain plus important… » (Nelson, 1959). C’est le deuxième « leitmotiv » de ses recherches : les avantages sociaux découlant de connaissances largement accessibles au public.

Moins connue, mais montrant certainement l’étendue de ses contributions, est sa recherche en théorie de la décision et plus précisément sur la valeur de la flexibilité ; un précurseur de notre théorie contemporaine de la valeur de l’option, un domaine généreusement développé dans la finance contemporaine.

Plus généralement, il s’intéresse aux changements économiques à long terme. Une grande partie de ses recherches vise à comprendre le changement technologique, la manière dont les institutions économiques et les politiques publiques influencent l’évolution de la technologie, et la manière dont le changement technologique induit à son tour un changement institutionnel et économique plus large. Ses travaux sont à la fois empiriques et théoriques.

Sa contribution la plus connue, avec Sidney Winter, est leur travail de pionnier pour le développement d’une théorie évolutionniste formelle du changement économique. Leur ouvrage commun, « An Evolutionary Theory of Economic Change », est reconnu comme une référence dans ce domaine. Il est largement reconnu comme le livre qui a le plus contribué à la renaissance d’une approche économique en plein essor : l’économie évolutionniste ou néo-schumpétérienne.

Une particularité mérite d’être mentionnée : il était fasciné par l’interaction à double sens entre l’évolution de la technologie, d’une part, et l’évolution de la connaissance, dans de nombreux cas de la compréhension scientifique, d’autre part. Les universités ont là un rôle majeur à jouer. Avec un groupe de collègues, il a mené des recherches approfondies sur les interactions entre l’université et l’industrie dans le développement des technologies, dans différentes industries et dans différents pays. Il s’est intéressé à l’évolution du dépôt de brevets par les universités. L’une des conséquences est qu’une part importante des nouvelles connaissances scientifiques qui relevaient auparavant du domaine public est aujourd’hui protégée par des droits de propriété. Il est de nos jours convenu de l’importance de droits de propriété intellectuelle forts pour induire l’innovation technologique. Mais il est beaucoup moins bien compris que dans tous les domaines où l’innovation technologique a été rapide et soutenue, les efforts des entreprises pour développer l’innovation ont reposé sur un large et profond corpus de connaissances scientifiques publiques. Une grande partie de son travail vise à démontrer le rôle clé joué par les biens communs scientifiques dans le processus de croissance économique.

Il était également un fervent défenseur de la « théorie appréciative » combinée à des « modèles formels » et à des « explorations empiriques », dont les approches de « history-friendly modelling » ou du « système national d’innovation » sont les principaux archétypes.

Quelques mots sur son rôle pour et à Strasbourg, pour le BETA : Dick Nelson a fortement contribué au développement du domaine de l’économie de l’innovation et plus largement de l’économie dynamique à l’Université de Strasbourg. En particulier, il a contribué à l’implication internationale du BETA depuis de nombreuses années : de son soutien au programme doctoral européen ETIC « Economics of Institutional and Technological Change » au réseau d’excellence DIME sur la « Dynamique des institutions et des marchés en Europe », tous deux coordonnés depuis/par Strasbourg. Il a essentiellement influencé directement ou indirectement trois générations de chercheurs à Strasbourg, depuis notre regretté Ehud Zuscovitch jusqu’aux doctorants d’aujourd’hui. Il a reçu le titre de « Docteur Honoris Causae » de l’Université de Strasbourg, il y a presque 20 ans, en juin 2006 pour toutes ces contributions.

Ses grandes réalisations dans le domaine de la recherche et l’attention exigeante mais bienveillante qu’il portait aux jeunes chercheurs étaient ses traits les plus remarquables, rendant toute rencontre avec lui inoubliable et assurant un impact durable de sa pensée sur les générations futures.

Patrick Llerena (2 février 2025)

Hommages à Dick Nelson

Nous partagerons ci-dessous les hommages adressés in memoriam Dick Nelson.