L’entreprise Ynsect en difficulté : l’élevage d’insectes est-il vraiment l’avenir du secteur agroalimentaire ?
27 janvier 2025
TweetArticle “De la révolution écolo à l’échec commercial, le géant français Ynsect va-t-il faire son adieu aux larves ?“, publié lundi 20 janvier 2025 sur le site web de Libération.
A l’automne 2024, l’entreprise Ynsect, qui produit notamment des protéines à base d’insectes destinés à la consommation animale et humaine, est placée sous procédure de sauvegarde. Pourtant, dès de sa création en 2011, l’innovation proposée par l’entreprise française pour répondre à l’urgence climatique et planétaire soulève l’enthousiasme et permet d’importantes levées de fonds. Interrogé par le journaliste Arthur Cerf, Tom Bry-Chevalier, doctorant au BETA, livre son analyse de cet échec.
Extraits : « Ynsect a vu trop gros, trop vite, évalue Tom Bry-Chevalier, doctorant en économie de l’environnement au Bureau d’économie théorique et appliquée (BETA), coauteur d’une étude sur les élevages d’insectes. Ils ont été poussés par les investisseurs, les politiques ont parié gros sur eux, il y a eu un soutien total du gouvernement. Quand on soulève autant d’espoir, c’est difficile de revenir en arrière sur la stratégie. » A l’annonce du plan de sauvegarde, le chercheur n’a guère été surpris. « Dans quelle mesure les scientifiques ont-ils été intégrés à la réflexion ? s’interroge-t-il. Quand on baigne dans un environnement optimiste, c’est peut-être compliqué de voir les limites du modèle et d’entendre les critiques. »
[…] « Je suis hypersceptique », dit Tom Bry-Chevalier du BETA, qui liste les difficultés rencontrées par le secteur. Un, le marché de l’alimentation humaine peine à décoller. « Il y a une très faible appétence, ça reste une consommation quasi récréative. » Deux, pour les éleveurs, la farine de soja et la farine de poisson restent moins chères que la farine d’insectes. Trois, le coût énergétique d’une méga-usine est élevé, surtout dans un pays à climat tempéré. « Le climat optimal pour élever des insectes se situe entre 25 et 35° C.» Quatre, l’usage des déchets est réglementé : interdit, par exemple, de les alimenter avec des déchets qui contiennent des restes de viandes. «Les insectes ne peuvent pas être nourris avec tout et n’importe quoi. Si on les nourrit avec des déchets de faible qualité nutritionnelle, ils vont grandir plus lentement.» Ce qui ouvre d’autres portes : comment collecter les déchets ? Les trier ? Les acheminer ? En résumé, tout est plus compliqué dans la réalité. Reste la “pet-food”, le marché des croquettes pour animaux de compagnie, sur lequel Ynsect met le paquet depuis 2023. « Premium et de niche. »
Près de quinze ans après la création de l’entreprise, toujours la même urgence planétaire et climatique : il va bien falloir diminuer la consommation de viande, réduire l’empreinte carbone des élevages, végétaliser l’alimentation et évoluer en tant qu’espèce. Une autre voie est possible. « Aujourd’hui, le végétal a plus de sens environnemental, souligne Tom Bry-Chevalier. Mais il n’y a pas a grand plan sur les légumineuses, il faudrait mettre la branche en avant, remettre à la mode les protéines végétales…»
Pour aller plus loin : Corentin Biteau, Tom Bry-Chevalier, Dustin Crummett, Ren Ryba, Michael St. Jules, Insect-based livestock feeds are unlikely to become economically viable in the near future, Food and Humanity, Volume 3, 2024, 100383, ISSN 2949-8244, https://doi.org/10.1016/j.foohum.2024.100383